dimanche 4 décembre 2016

Quel est l’héritage de Fidel Castro à Cuba et dans le monde ?


Quel bilan tirer des presque cinquante ans de pouvoir de Fidel Castro à Cuba ? Alors que les hommages se succèdent se pose la question de l’héritage de l’ancien dirigeant cubain sur l’île et dans le monde. Pour ses soutiens, Fidel Castro a permis la réussite de la révolution cubaine et la pérennité de l’indépendance de l’île. Il incarne la résistance latino-américaine et tiers-mondiste à l’impérialisme des États-Unis mais aussi de grandes réformes internes comme celles de l’éducation et de la santé. Ses détracteurs retiennent le dictateur impitoyable qui a usé du pouvoir pour réprimer toute contestation. Voici ce que pense El Cubano, un des acteurs impartiaux du Castrisme et de son impact.


Le parque Vidal, au fond on retrouve cet imposant Hotel Santa Clara Libre.

Cuba est une combinaison rare d'indicateurs sociaux des pays développés, mais avec des indicateurs économiques du Tiers-Monde.


Fidel Castro avait coutume de dire que la grande réussite de la Révolution cubaine était le mérite d'avoir accompli tant de progrès en matière sociale, alors que Cuba est un pays pauvre. Les progrès de la révolution cubaine dans l'éducation, la santé publique, la sécurité et l'égalité sociale sont des faits incontestables. Après la désintégration de l'URSS dans les années 90, la qualité et l'efficacité des politiques sociales se sont détériorés au fil du temps, mais, malgré tout, la plupart des indicateurs sociaux ont montré une consistance surprenante, compte tenu de l'ampleur du choc économique que le pays a subi. Par exemple, dans le classement pour l'indice de développement humain, défini par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Cuba reste encore aujourd'hui en tête en Amérique latine et dans les Caraïbes en matière d'éducation, et en deuxième position pour le taux d'espérance de vie à la naissance.


Or, cette même réussite pourrait être considérée comme un échec si on l'analyse sous un angle différent, et l'on se demande comment un pays avec tous ces progrès extraordinaires dans le domaine social est un pays si pauvre économiquement ? Ce sont précisément les réussites sociales les plus difficiles à atteindre pour les économies qui viennent de loin et qui veulent dépasser le seuil de la pauvreté, pour diriger leurs croissances vers un sentier d'améliorations progressives et durables.

La santé publique, fleuron du système castriste.

Prenons l’exemple des pays pauvres, mais avec une forte croissance économique comme le Rwanda ou le Malawi. Ils obtiennent des bonnes performances économiques, mais ces pays avaient déjà tellement de problèmes que ces succès économiques ne peuvent pas résoudre leurs problèmes sociaux.  Par contre, Cuba l'a réussi et, cependant, a maintenu des taux de croissance très faibles en plus de rester à la traîne sur le plan économique par rapport aux autres pays de la région. C’est ce qui est difficile de comprendre.

Si l'on compare l'île avec 10 pays de taille similaire dans la région (avec une population comprise entre deux et 16 millions d'habitants) dans la période 1960-2014, on constate que le PIB cubain a augmenté à un taux annuel moyen de 3,3% , alors que la moyenne de ces économies émergentes était de 4%, avec le Panama (5,8%), République dominicaine (5,3%), Costa Rica (4,8%) et de l'Équateur (4,5%).

Cela a poussé plusieurs analystes, détracteurs du Castrisme, à dire que dans les années 50 Cuba était déjà un des meilleurs en Amérique latine pour tous les indicateurs sociaux vantés par Fidel Castro. Ils soutiennent qu’en 1950 Cuba et l’Uruguay étaient les pays les plus alphabétisés de l’Amérique latine. Ces affirmations sont probablement vraies. Cependant, remarquez qu’il est toujours facile pour les économistes illuminés, avec leurs gros livres et des petites lunettes rondes, de se cacher derrière les statistiques et les théories. Mais la vraie réalité, il faut la vivre sur le terrain.

La ville historique de Trinidad(province de Sancti Spíritus), une des destinations touristiques les plus prisées de Cuba.

Moi El Cubano, auteur de cet article, je ne suis pas un citoyen cubain ni un partisan du communisme. Mais j’ai vécu dans ce pays pendant 14 ans et je connais bien quelles sont les infrastructures de base de ce pays qui datent d’avant ou après la Révolution castriste. Dans le secteur de l’éducation, à part les anciennes universités de la Havane, l’Université orientale de Santiago de Cuba et l’Université centrale Marta Abreu de Las Villas, toutes les autres universités restantes(une douzaine), y compris la prestigieuse École Polytechnique des ingénieurs de la Havane(CUJAE), furent construites sous le régime des frères Castro.

Je ne tiens même pas compte des fameuses écoles de médecine, fleuron de la révolution cubaine, qui existent dans chaque province du pays. Toutes ces universités possèdent des campus et des résidences estudiantines, avec des cafétérias, des installations sportives, des bibliothèques, des cliniques médicales et tous les services que vous trouvez en ville.
École des Médecines de Santa Clara. Chaque province de Cuba possede une école comme celle-ci pour former les professionnels de santé locaux
 J’ai voyagé pas mal dans les pays du bassin des Caraïbes. Quand je dis bassin des Caraïbes, je ne me limite pas qu’à la République Dominicaine, Panama et les petites îles des Antilles. Je me réfère aussi au géant Mexique avec toute son industrie, à la grande Colombie avec tout son capital humain ou du Venezuela avec ses énormes gisements de pétrole. Mais je peux affirmer que le programme cubain et sa réussite sociale sont uniques en Amérique latine.

Ce que je peux résumer comme héritage de Fidel Castro, en plus de l’éducation gratuite du peuple, viennent dans les quelques points suivants :


La couverture de santé gratuite pour les Cubains


La couverture de santé est totale et gratuite pour les Cubains et étudiants étrangers résidant dans les internats. C’est vrai que les Cubains souffrent beaucoup à cause de l’embargo américain, car les produits de première nécessité et les médicaments rentrent difficilement dans le pays, mais ce qui est disponible est bien utilisé et reparti dans un intérêt de tous. Souvent lorsque j’évoque les succès du système cubain comparé au Canada, les médecins canadiens aiment relativiser en mentionnant la mauvaise qualité des équipements et du personnel médical cubain comparé aux normes des pays développés.

Civamax, le vaccin cubain contre le cancer des poumons gratuit pour le peuple.

C’est peut-être vrai car si l’on compare les technologies entre les deux pays la différence est grande. Mais que vaut la qualité des soins lorsqu’au Québec le temps d’attente moyen du patient dans un centre d’urgence médicale est de 5h ? 5h est un temps d’attente des hôpitaux des pays pauvres qui manquent de personnel, je m’excuse pour les professionnels canadiens de santé, mais à Cuba le temps d’attente moyen dans un hôpital est de 40 minutes.

Étudiants de la Cujae, une école polytechnique de la Havane qui forme les plus brillants ingénieurs du pays gratuitement.

Que vaut la qualité de soins lorsque se faire enlever une dent dans une clinique dentaire en Ontario peut vous coûter 1200$, alors que la même opération est gratuite à Cuba ? Je me suis déjà fait enlever la dent dans les deux pays, heureusement pour moi qu’à chaque fois se sont mes assurances privées qui ont fait la différence au Canada. Mais les Canadiens qui ne possèdent pas des assurances privées doivent payer très cher pour les soins dentaires, car ceux-ci ne sont pas couverts par les régies d’assurances maladies publiques.

 La pérennité de l’indépendance cubaine

Soldats cubains en Angola lors de la bataille de Carlota.

 Fidel Castro a conquis le monde. Il a tout simplement fait les choses selon sa volonté et celui de son peuple, mais pas pour plaire aux puissances occidentales comme le fait Sassou Nguesso au Congo par exemple. Après avoir beaucoup travaillé, se sentant fatigué, Fidel a simplement laissé le pouvoir aux mains de son frère cadet et a attendu sa mort tranquillement dans son lit. Il est parti en laissant derrière lui un système et une diplomatie solides, avec une armée de près de 500 000 militaires, parmi les mieux disciplinés et entraînés du monde.

Grâce à Fidel Castro, un pays comme l’Angola a pu se libérer de l’invasion de l’armée sud-africaine et des groupes nébuleux soutenus par le régime de l’apartheid. En effet, l’intervention de l’armée cubaine en Angola fut décisive pour sauver le MPLA et le pouvoir du président Eduardo Dos Santos, en même temps l’aide militaire à contribuer à forger l’esprit guerrier des soldats angolais.
La bibliothèque de la Universidad Central Marta Abreu de Santa Clara.

La solidité de son système a donné à son pays une meilleure image et une sympathie au sein des pays du tiers monde. Avant la révolution, Cuba était certes riche et prospère, comme le soutiennent certains, mais cette île était aussi reconnue comme le casino et la cour arrière des américains qui leur offraient des prostituées et des gigolos en masse. C’est Fidel Castro qui est venu changer cette image des Cubains, en les présentant comme un peuple plutôt fier et travailleur.

La sécurité et la tranquillité

La police cubaine est toujours alerte et proche du peuple.

En 1993, alors que jetais à ma dernière année du collège pré universitaire, je discutais avec mon professeur de physique dans un couloir sur les problèmes de violences aux USA. Il m’avait dit une chose qui m’avait beaucoup marqué et qui aujourd’hui s’est révélé être une prophétie de ce brillant professeur. Il me dit que Bill Clinton (le président américain de l’époque) pouvait venir à Cuba et se promener dans les rue sans garde du corps et rien ne se passera. Je me disais qu’il délirait parce qui il prenait l’exemple d’un fait qu’il savait techniquement impossible au fond de lui : aucun président américain ne mettra les pieds à Cuba avant 30 ans, soit avant la fin du socialisme.

Vous savez quoi ? En 2016, Obama, son épouse et ses deux filles viennent juste de le faire dans les rues de la vieille Havane, sous la pluie et sans gardes du corps visibles aux alentours ! Mon professeur avait raison !

La sécurité à Cuba est une responsabilité collective du gouvernement et du peuple aussi. Les CDR(Comité de défense de la révolution) et les membres du partis sont implantés jusque dans les coins les plus reculés du pays. Ils sensibilisent les populations sur les questions de sécurités et la tolérance dans le voisinage, en même temps ils sont les yeux et les oreilles des organes de la Sécurité d’état.  Cette structure de sécurité complexe établi par les Castro rend presque impossible la formation des gangs de rue dans les villes, comme ce que l’on retrouve partout en Amérique latine. Si on remarque quatre ou plus individus qui se tiennent toujours ensemble, ils deviennent rapidement la cible des CDR et de la police secrète. Cela va même au-delà de la sécurité physique.

Fidel Castro prend son repas avec des soldats cubains dans un campement de la Sierra Maestra.
En tant qu’étudiants étrangers, nous n'étions pas trop familiarisés avec les rouages de la rue cubaine et ce sont des simples citoyens anonymes qui nous avertissaient souvent des possibles dangers ou des fréquentations à risque. 

Je me rappelle une nuit lors d’un carnaval à Santa Clara, j’ai croisé trois copains angolais de mon université. Ils étaient tous arrosés et accompagnés de belles jeunes cubaines. On a jasé un petit peu puis ils ont continué leur chemin parmi la foule. Un cubain qui ne se tenait pas loin de nous, avec sa copine, est venu me dire de rattraper mes copains et leur souffler à l’oreille de faire très attention parce que l’une de ces filles était atteinte du VIH. Dans son quartier c’était connu de tous qu’elle se rendait régulièrement prendre les soins gratuits administrés dans un centre médical adapté pour ces patients. Avait-il raison ou non ? 
École secondaire des étudiants de la Namibie a l'île de la Jeunesse, Cuba.
Je n’ai pas pensé deux fois et je suis allé vite passer le message. Voilà la force de la sécurité collective de la société cubaine développée par le socialisme castriste. Tout le monde se connait, tout le monde se parle. Qui est visiteur, qui est sorti de prison, qui a déjà volé ou tué, tout le monde le connait. Le reste c’est à la police de faire son travail.

Les Cubains sont pauvres, pour ça il faut le reconnaître. Castro malgré tous les plans et les œuvres sociales qu’il a vantées, a laissé un pays exsangue économiquement. Nous n’allons pas non plus tout rejeter sur la faute du blocus américain, car les frères Castro aussi ont leur part de responsabilité. Ils auraient pu réussir leurs programmes économiques s’ils savaient déléguer les pouvoirs. Mais leurs egos pour tout contrôler étaient trop forts pour le permettre. Les 50 ans de ce régime ont laissé des traces de fatigue assez visibles partout dans le pays, les bâtiments devenus vétustes, des maisons et même des personnes. Le visage du pays n’a pas beaucoup changé depuis 1950. Seul le charme des eaux douces des Antilles, avec un climat chaud et sec, restent pour aromatiser un secteur de tourisme toujours en forme. Mais Cuba à besoin du renouveau, ce pays a besoin d’importants investissements et d’ouverture pour moderniser les infrastructures de télécommunications. 

La Habana vieja

Fidel Castro n’a jamais été intéressé à ce que le pays soit ouvert au monde via les technologies des informations, afin de mieux contrôler l’information entrant dans le pays. Cet ego des dirigeants cubains continue d’être un gros facteur contre le développement économique de l’ile. Il faut aussi préciser que même cette éducation gratuite, tant vantée par Fidel Castro, est en retard au point de vue qualité pour faute d'ouvertures avec l'extérieure. Ce qui explique que plusieurs ingénieurs et médecins cubains qui ont immigré en Floride se retrouvent comme employés des épiceries ou de chantier de construction. Que vaut aujourd’hui un ingénieur de logiciels gradué avant 2006 et qui ne possede pas des connaissances sur la programmation des plateformes Android, Mac iOS ou Node-js?

Par exemple, en 2003, les étudiants cubains de génie électronique utilisaient encore les modèles mathématiques du programme spatial russe des années 60, pour optimiser les cartes de mémoires des processeurs de fréquences.

En 2018, lorsque Raul Castro aussi va quitter le pouvoir, ce sera complètement la fin du castrisme. Il sera important que le parlement cubain vote des nouvelles lois et mesures pour lutter contre le vieillissement de la population cubaine. Le pays doit s’ouvrir à l’immigration. De nos jours, il est impossible d’obtenir la nationalité cubaine pour un étranger, alors que Cuba souffre de l’évasion des cerveaux et du faible taux de natalité. Ce pays qui n’est pas encore surpeuplé, a besoin des bras frais pour revitaliser son économie. Il y a encore de l’espace pour accommoder 6 millions d’immigrants en espace de dix ans dans les nombreuses îles et îlots que forment cet archipel en forme de crocodile.

Cependant, malgré son vieillissement et ses problèmes économiques, Cuba n’a rien à envier aux autres pays latino-américains. On dit souvent que nul n’est prophète chez soi. Attendons que Cuba devienne comme les autres pays de la région pour juger. 

Il n' y a pas de gangs de rue chez Castro, la police est en contrôle de tout.

Par exemple en Colombie, cet enfer qui ne compte plus le nombre de massacre de ses paysans exécutés par des escadrons de la mort, ce pays où la culture de l’extorsion est devenue un phénomène banal ; Le Venezuela qui est devenu en état de guerre sans pourtant identifier les belligérants ; le Honduras et le Salvador ravagés par les gangs de rue du M-13 ; le Mexique qui est en train de vivre sa propre période des  grands cartels de la drogue ; le Brésil où les voleurs de la rue ont fait la chasse aux touristes pendant les Jeux olympiques de Rio 2016 en plein jour et au vu de tout le monde ; que dire de la République Dominicaine qui est devenue la cour des prostituées  pour les gringos de toute sorte ?

Bref, quand les cubains voudront vivre comme leurs frères latino-américains, c’est à ce moment qu’ils feront le vrai bilan de cet héritage légué par Fidel Castro.